- ESQUIMAUX (ESKIMO)
- ESQUIMAUX (ESKIMO)Le terme «eskimo» (ou, selon l’orthographe française: esquimau, esquimaude, esquimaux), par référence à une culture et une famille linguistique particulières, désigne un ensemble de populations de l’Arctique qui, depuis la Sibérie orientale, se sont disséminées progressivement, par migrations successives, à travers le détroit de Béring, le long des côtes sud-ouest de l’Alaska et vers le grand nord de l’Alaska, du Canada, jusqu’au Groenland. L’habitat de ces populations, situé entre 210 de longitude ouest et 1720 de longitude est, et entre 560 et 730 de latitude nord, couvre un immense territoire totalisant environ 15 000 kilomètres de côtes. Actuellement, les Eskimo – au nombre de plus de cent mille – sont rattachés politiquement à quatre nations: la Russie, pour les Eskimo sibériens; les États-Unis d’Amérique, pour ceux d’Alaska; le Canada, pour ceux de l’Arctique central et du Labrador; le Danemark, enfin, pour les Groenlandais, qui, depuis 1979, ont un statut d’autonomie interne, mais demeurent sous tutelle danoise pour les questions relevant des affaires étrangères ou de la défense.Depuis les années 1970, certains groupes rejettent l’appellation eskimo , qu’ils estiment péjorative. Au Canada, ils préfèrent se désigner eux-mêmes par le terme inuit (singulier inuk ) et au Groenland par le terme kalaallit (singulier kalaaleq ). En Alaska, l’appellation «eskimo» est toujours utilisée, avec la distinction géographique et culturelle inupiat (pour les communautés du Nord) et yuit (pour celles de l’Ouest et du Sud-Ouest). Les Eskimo sibériens adoptent aussi, de nos jours, le terme yuit pour se désigner.Famille linguistiqueIl fut longtemps admis que le terme «esquimau», connu depuis le début du XVIIe siècle par les Français établis en Nouvelle-France, aurait été attribué à ces populations du grand nord canadien (qui elles-mêmes se désignaient simplement du nom d’Inuit , c’est-à-dire les «êtres humains») par leurs voisins, leurs ennemis héréditaires, les Indiens Algonquins – ce mot d’«esquimau» signifiant dans leur dialecte «mangeurs de [viande] cru». Une recherche de scientifiques québécois conduit à envisager une autre origine et une signification différente du terme. Il dériverait, selon eux, plutôt de ayassimew , de la langue des Indiens Montagnais, ou de esgimow , des Indiens Micmac, les deux mots signifiant «ceux qui parlent la langue d’une terre étrangère» et désignant tantôt les Inuit, tantôt d’autres Indiens dont le langage leur était inintelligible. En 1932, les ethnologues réunis au Congrès international de Washington décidèrent d’adopter la forme invariable «eskimo».L’ensemble des langues parlées par les Eskimo – classées en deux groupes, le yupik et l’inupiak – est apparenté à la langue aléoute, utilisée dans l’archipel qui prolonge la péninsule d’Alaska en direction du Kamtchatka et forme avec celle-ci la famille linguistique eskaléoute. Tout apparentement avec une autre famille linguistique reste jusqu’à présent hypothétique.L’idiome yupik est la langue des populations eskimo de Sibérie, des îles de la mer de Béring et de la côte sud-ouest de l’Alaska. Il se subdivise en cinq parlers, en réalité assez éloignés les uns des autres: le sirenikski, le chaplinski et le naukanski, pour les ethnies eskimo de Sibérie orientale; le yupik central et l’alutiiq , pour celles de l’Alaska occidental et méridional. L’inupiak , en revanche, est constitué d’un continuum de dialectes, relativement proches les uns des autres, qui se retrouvent dans tout l’extrême nord du continent américain, depuis le détroit de Norton en Alaska jusqu’au Groenland oriental (quatre dialectes en Alaska, quatre au Canada occidental, six au Canada oriental, trois au Groenland). Cette remarquable homogénéité linguistique chez les Inuit Inupiat s’explique par l’histoire de la grande migration thuléenne qui s’est effectuée vers l’an 1000 de l’ère chrétienne, depuis le détroit de Béring vers les territoires situés à l’est. Entre l’aire yupik et l’aire inupiak , les différences considérables dans les domaines linguistique et culturel suggèrent une divergence pouvant remonter au début de l’ère chrétienne, tandis que la branche aléoute, pour sa part, aurait divergé encore quelque 4 000 années auparavant.L’eskimo est une langue agglutinante où un mot, composé d’un radical, d’une addition d’infixes et d’une désinence, peut à lui seul constituer une phrase complète.PréhistoireIl est aujourd’hui à peu près admis par l’ensemble de la communauté scientifique que les Eskimo sont des mongoloïdes dont les ancêtres sont venus de Sibérie, par le détroit de Béring, peupler d’ouest en est l’Arctique américain et le littoral groenlandais. D’autres hypothèses donnant aux Eskimo soit une origine amérindienne, soit une provenance asiatique et un peuplement d’est en ouest par la voie du Spitzberg et du Groenland n’ont pas été retenues.Les lointains ancêtres (Protoeskimo) de ces populations ayant une langue commune, l’eskaléoute, pourraient avoir été des chasseurs nomades d’Asie centrale, qui auraient été refoulés vers le nord de la Sibérie et auraient pénétré, il y a 10 000 ans, dans le Nouveau Monde par la Béringie, vaste pont terrestre de 1 500 kilomètres de largeur qui rattachait la Sibérie à l’Alaska à cette époque glaciaire, avant d’être à nouveau immergé à la fonte des glaciers, il y a environ 8 000 ans, pour redevenir un détroit.Dans l’état actuel des connaissances linguistiques, ethnologiques et archéologiques, on peut distinguer au moins deux grandes vagues de peuplement de l’Arctique nord-américain à partir de la région du détroit de Béring – celle des Paléoeskimo et celle des Néoeskimo – qui demeurent difficiles à relier entre elles. Les actuels Aléoutes et les Yuit, locuteurs de la langue yupik, seraient les descendants des Paléoeskimo, tandis que les Inuit, parlant l’inupiak, seraient issus de la vague néoeskimo, porteuse de la culture thuléenne, qui s’est propagée d’ouest en est il y a à peine 1 000 ans.En remontant le temps, nous trouvons donc en premier lieu la culture thuléenne, celle des Eskimo chasseurs de baleines, qui, à la faveur d’un réchauffement climatique à la fin du Ier millénaire de l’ère chrétienne, se sont installés en quelques générations dans tout le Grand Nord, progressant depuis l’Alaska jusqu’au Groenland. Possesseurs de kayaks et d’umiaq (grandes barques de peaux utilisées pour la chasse à la baleine franche et pour les migrations) et de traîneaux à chiens, habitant alternativement dans de grandes maisons semi-souterraines, en forme de trèfle, faites de pierres, tourbe et os de baleine, ou sous la tente, ils vivaient essentiellement des mammifères marins, qu’ils chassaient au moyen de harpons reliés à des flotteurs. À l’occasion, ils poursuivaient les animaux terrestres de la toundra, caribous et bœufs musqués, qu’ils abattaient à l’aide de lances et de flèches.Au Groenland occidental, sous l’effet conjoint des contacts avec les Vikings – les colons scandinaves installés au sud du pays depuis 982 – et d’une adaptation climatique et écologique les amenant notamment à bien maîtriser la chasse au phoque en kayak, leur mode de vie se modifia. Ces transformations donnèrent naissance à la culture inugsuk, l’ancêtre direct de la culture groenlandaise, encore observable au XXe siècle dans certaines régions du Groenland.Dans l’Arctique central et oriental, les Thuléens avaient été précédés par d’autres populations, les Dorsétiens, porteurs d’une tradition différente, dont l’origine aussi bien que le sort final, après les contacts avec l’envahisseur thuléen, demeurent mal connus. Antérieurement encore aux Dorsétiens, il y avait eu les Pré-Dorsétiens et, au Groenland, des groupes de nomades dont les cultures, appelées Independance I (remontant à plus de 4 000 ans), Sarqaq et Independance II, ont laissé des vestiges archéologiques. Ces diverses cultures paléoeskimo orientales (Prédorset, Independance et Sarqaq) dérivent de ce qui a été appelé la «tradition microlithique de l’Arctique» (ou T.M.A.) en raison de la taille très réduite de l’outillage de pierre, dont l’origine est l’Alaska et qui semble être apparue il y a environ 4 000 ans. La T.M.A. s’apparente elle-même à la culture de Duktai (du Paléolithique sibérien) trouvée dans la vallée de la Lena ainsi qu’au Kamtchatka.Si leurs origines semblent bien asiatiques, rien ne permet cependant d’établir des liens de parenté entre certains de ces courants de peuplement, notamment entre les Pré-Dorsétiens et les Indépendanciens. Considérée comme distincte de la migration des gens d’Indépendance – petits groupes de nomades, chasseurs de bœufs musqués, vivant sous la tente et suivant à pied les déplacements de leur gibier dans l’archipel Arctique et le grand nord du Groenland –, la migration des Pré-Dorsétiens, apparue dans le bas Arctique il y a près de 4 000 ans, s’est développée dans tout l’Arctique oriental jusqu’au Groenland. Elle a présenté des variations culturelles régionales, tels les faciès pré-dorsétiens du Labrador et Sarqaq du Groenland. Ces groupes étaient très mobiles, ne possédant pas de traîneaux, mais de grands chiens qu’ils pouvaient avoir bâtés, et peut-être des kayaks; ils exploitaient les ressources maritimes (les petits mammifères marins) et le caribou à l’intérieur des terres.La culture dorset du Canada et du Groenland, qui apparaît vers l’an 800 avant J.-C., est issue de la tradition pré-dorsétienne, tout en présentant des traits nouveaux: une spécialisation accrue dans les ressources côtières, des maisons rectangulaires à moitié enterrées et surtout un art très élaboré et foisonnant, que l’on trouve sous forme de petites figurines animales ou anthropomorphes, de masques miniatures, etc.La forte expansion thuléenne qui eut lieu du Xe au XIIIe siècle après J.-C. a-t-elle refoulé, exterminé ou assimilé les populaions dorsétiennes, établies depuis près de 2 000 ans, mais démographiquement et techniquement plus faibles et probablement moins belliqueuses? On sait seulement que, dans l’Arctique québécois, il y eut coexistence entre les deux populations dorsétienne (ou tunnit) et néoeskimo (thuléenne) jusqu’à la fin du XVe siècle ou au début du XVIe. Jusqu’à présent, entre ces chasseurs nomades mongoloïdes dorsétiens et thuléens, aucune ancestralité biologique et culturelle n’a pu être démontrée.Découverte et contacts avec les OccidentauxIl est maintenant établi que les premiers Occidentaux qui rencontrèrent des Eskimo furent les colons vikings du Groenland, lorsque, au cours d’expéditions maritimes, ils découvrirent le continent nord-américain, au tout début du XIe siècle. Selon toute vraisemblance, ces skraelings , qu’ils virent sur les terres dénommées par eux «Vinland», «Markland», «Helluland», étaient des Eskimo établis respectivement à Terre-Neuve, au Labrador et sur la terre de Baffin. Plus tard, les rencontres entre Vikings groenlandais et Eskimo (toujours désignés dans les sagas par le terme skraelings ) eurent lieu au Groenland même, au moment où la vague thuléenne, arrivée par la terre d’Ellesmere, progressa vers le sud. La culture eskimo inugsuk se ressent précisément de cette influence viking, dès le début du XIIIe siècle. Les rapports entre les deux communautés ne furent guère pacifiques et des scènes d’affrontements très violents au «Vestribygd» (l’établissement occidental des Vikings situé dans la région de l’actuel fjord de Godthaab/Nuuk), au milieu du XIVe siècle, sont attestées à la fois par les sagas islandaises et la tradition orale eskimo.Au cours du XVIe siècle, les pêcheurs de Terre-Neuve et les baleiniers du détroit de Davis – portugais, basques, français ou espagnols – ont pu entrer en contact avec les populations eskimo du sud du Labrador ou du Groenland occidental, mais c’est essentiellement la recherche, par Frobisher, d’un passage maritime vers la Chine, par le nord-ouest, qui fit redécouvrir, en 1576, les Eskimo du Groenland, puis ceux de la terre de Baffin. Ultérieurement, d’autres expéditions – principalement britanniques – toujours en quête du fameux passage du Nord-Ouest (Davis, Hudson, Baffin, etc.) apportèrent certaines précisions sur ces populations arctiques. Au début du XVIIe siècle, la distribution des Eskimo, au Groenland occidental et sur une partie des côtes de l’Amérique du Nord-Est, était déjà relativement bien connue.Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, les baleiniers hollandais furent très nombreux à accéder et à faire du commerce au Groenland, jusqu’en 1762, où il fut mis fin à leurs contacts avec les Eskimo par un traité signé entre le Danemark et la Hollande. La colonisation dano-norvégienne avait commencé sur ce territoire en 1721, avec l’œuvre missionnaire d’Hans Egede et l’installation de postes de mission et de commerce en plusieurs points de la côte occidentale, au cours du XVIIIe siècle. En 1776, le royaume de Danemark-Norvège créait un monopole commercial au Groenland (qui devait durer jusqu’au milieu du XXe siècle). En Amérique du Nord-Est, les missions moraves – déjà implantées au Groenland depuis 1733 – réussirent à s’établir à Terre-Neuve et au Labrador, à partir de 1764.L’autre extrémité de l’aire eskimo fut révélée par des expéditions parties de Russie, qui, par voie terrestre et fluviale, traversèrent la Sibérie. Le détroit de Béring fut découvert par le cosaque Dezhnev, en 1648. Plus tard, en 1724, le tsar Pierre le Grand décidait de faire explorer ces confins extrême-orientaux de son empire, en envoyant une expédition maritime à partir du Kamtchatka. Après une première tentative, au cours de laquelle il atteint l’île Saint-Laurent, au peuplement eskimo, Vittus Bering découvre, en 1741, les îles Aléoutiennes et la côte sud de l’Alaska. Les rumeurs des fabuleuses richesses en animaux à fourrure (notamment la loutre de mer) de ces territoires nouvellement découverts se répandirent rapidement en Sibérie et, dans les décennies qui suivirent, eut lieu une véritable ruée vers l’est de trappeurs et commerçants en fourrure, russes et sibériens, particulièrement avides. Au cours du XVIIIe siècle, un monopole d’exploitation et de commerce, la compagnie russo-américaine, était organisé et la religion orthodoxe commençait à s’implanter. Si les populations aléoute et eskimo du sud de l’Alaska souffrirent très cruellement des premiers contacts avec les Blancs (par les massacres, les épidémies, les déplacements de population et l’appauvrissement du gibier qu’ils entraînèrent), la pénétration russe vers le nord de l’Alaska fut plus lente et les Eskimo du Nord-Ouest restèrent longtemps méconnus. Il en fut de même pour les ethnies situées en bordure de l’océan Arctique, à l’ouest de la baie d’Hudson, qui, en dehors de rencontres épisodiques avec de rares expéditions (Cook en 1778, Mackenzie en 1789), ne furent véritablement connues du monde occidental qu’au XIXe siècle.Au cours de la première moitié du XIXe siècle, de nombreuses expéditions maritimes explorant les régions arctiques révélèrent: au nord-ouest du Groenland, les Eskimo polaires, les plus septentrionaux du globe (Ross, en 1818); au nord-est, un petit groupe jamais revu ultérieurement (Clavering, en 1823) et l’ethnie sud-orientale (Graah, en 1829-1830); au Canada, les Eskimo Aivilik et Iglulik (Parry et Lyon, en 1821-1823), les Sadlermiut de l’île de Southampton (Lyon, en 1824), les Eskimo du Cuivre et du Mackenzie (Franklin et Richardson, en 1825), les Eskimo Netsilik (Ross, en 1829-1833) et les Eskimo Caribou (Back, en 1833-1835). Les Eskimo de la côte septentrionale d’Alaska – ceux de la pointe Barrow – furent eux-mêmes connus en 1826.La chasse baleinière, au XIXe siècle, attira dans les eaux arctiques un nombre considérable d’Occidentaux, qui entrèrent en contact avec les ethnies eskimo des terres avoisinantes. Les Écossais s’aventurèrent vers la baie de Melville et la terre de Baffin; puis, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les baleiniers américains de Nouvelle-Angleterre fréquentèrent la baie d’Hudson, prenant des Eskimo à leur service et entretenant de nombreux contacts avec leurs communautés. Ils s’installèrent également, pour le plus grand malheur des populations autochtones (apportant alcool, maladies et créant de graves désordres), dans le détroit de Béring, chassant jusqu’à l’ouest de l’embouchure du Mackenzie.Le déclin des baleines et la diminution d’intérêt pour ce cétacé ont entraîné, au début du XXe siècle, une modification des activités dans le Grand Nord. Au Canada, la Compagnie de la baie d’Hudson (H.B.C.), récemment installée dans l’Arctique, recommande le piégeage du renard, à la fourrure très prisée sur le marché international. Les Eskimo sont incités à abandonner leurs chasses traditionnelles (phoque et caribou) pour devenir des trappeurs de renards; mais ce fut pour eux une perte considérable, en particulier dans les domaines alimentaire et vestimentaire. Au Groenland, le déclin des baleines et des phoques a été en partie compensé par le développement d’industries poissonnières. La pêche morutière, qui prit son essor vers 1920, et un peu d’élevage de moutons au sud du pays fournirent de nouvelles activités à une partie de la population eskimo, transformant considérablement son mode de vie. En Alaska, territoire cédé par la Russie aux États-Unis en 1867 – pour 7,2 millions de dollars –, prospecteurs et commerçants envahirent le Grand Nord, déclenchant de redoutables épidémies et diffusant le mode de vie américain. Pour subvenir toutefois aux besoins des Eskimo laissés très appauvris à la fin du XIXe siècle, le gouvernement américain décida l’importation de rennes domestiques sibériens, qui constituèrent un troupeau d’élevage à la disposition des autochtones.Mode de vie traditionnelMalgré une certaine diversité observable dans les modes d’existence des ethnies dispersées sur l’immense territoire des Eskimo, diversité due essentiellement à des particularités locales de l’environnement ou à des événements historiques régionaux, il existe de très nombreux points communs entre toutes ces petites sociétés de chasseurs.Les Inuit (ou encore Yuit , ou Suit selon les régions), «les hommes par excellence» comme ils se nomment eux-mêmes, ont développé des moyens très spécifiques d’adaptation au milieu particulièrement rigoureux de l’Arctique. Parmi les contraintes environnementales qu’ils subissent, il faut citer: le sol gelé en permanence en profondeur (permafrost ); l’absence d’arbres, excepté ceux qui sont chariés par la mer (bois de flottage), et la végétation de maigre toundra recouverte de neige une grande partie de l’année; les températures, très basses l’hiver, s’élevant rarement au-dessus de 10 0C dans les mois les plus chauds; la division de l’année en deux saisons très inégales et contrastées: un hiver long, sombre et glacial, et un été court, lumineux et frais; la mer gelée pendant plusieurs mois rendant difficile l’accès à ses ressources indispensables à la survie, etc. Les réponses adaptatives des Eskimo à ces particularités de l’environnement, plus ou moins accentuées selon la latitude, se retrouvent dans leur organisation sociale et leur culture matérielle.Chasseurs nomades – ou semi-nomades – pratiquant à l’occasion la pêche et la cueillette, les Eskimo habitaient traditionnellement les régions côtières et dépendaient essentiellement des produits de la mer, notamment des mammifères marins, à l’exception toutefois de quelques groupes installés à l’intérieur des terres, tels les Eskimo de l’intérieur du nord de l’Alaska, les Eskimo Caribou et les Inuit du Québec, qui vivaient essentiellement d’animaux terrestres, mais pouvaient se trouver en situation de complémentarité avec des groupes du littoral.Les ethnies, comprenant quelques dizaines ou quelques centaines d’individus et désignées – souvent avec la terminaison -miut , qui signifie «les gens de» – par leur situation géographique (ceux du Nord, du dos, etc.), par leur richesse cynégétique (ceux du phoque, des capelans, de la baleine, du caribou...) ou encore par une particularité locale (ceux du cuivre), regroupaient des unités plus petites, dispersées sur des territoires donnés et constituant de véritables cellules autarciques: la famille patriarcale. Lors de rencontres saisonnières pour des chasses, pêches ou cueillettes collectives, les petits groupes familiaux isolés se retrouvaient, échangeant alors nouvelles, connaissances, biens ou conjoints. Seules quelques ethnies eskimo yupik étaient des sociétés à clans ou à classes (il y avait notamment la prestigieuse caste des baleiniers chez les Eskimo du Pacifique); dans les ethnies inupiat, la communauté ne se divisait pas en classes et ne reconnaissait aucun chef véritable, toutefois en certaines occasions un «ancien», grand chasseur au savoir reconnu, prenait les décisions intéressant la collectivité. Le partage communautaire du gros gibier, selon des règles très précises, était le fondement de la cohésion sociale et de la survie des petits groupes souvent menacés par la famine.Parmi les éléments les plus caractéristiques de la culture matérielle des Eskimo, on peut citer: la maison semi-enterrée de tourbe et de pierre et l’igloo de neige de l’Arctique central, habitat d’hiver de la grande famille patriarcale; la tente en peaux des migrations d’été; le traîneau à chiens permettant de se déplacer sur neige et glace; le kayak et l’umiaq, embarcations de peaux pour la navigation en eau libre; le harpon avec flotteur qui retient la proie blessée; la lampe à huile de mammifère marin, unique source de lumière et de chaleur à l’intérieur des habitations. Les Eskimo ont su ingénieusement tirer parti de tous les éléments de la faune arctique (notamment les mammifères, phoque, morse, baleine, ours polaire, caribou, ou bœuf musqué), en utilisant chair, sang, graisse, os, fourrure ou cuir, pour se nourrir, se vêtir, construire leur tente, leurs embarcations, leurs armes et leurs outils, se chauffer et s’éclairer.Cependant, l’existence des Eskimo ne tendait pas vers une seule préoccupation: la quête de la nourriture ou des éléments indispensables à la vie quotidienne. La beauté artistique des objets usuels, finement sculptés et ornés de figurines d’os ou d’ivoire; la richesse du patrimoine culturel, fait de jeux, danses, chants, récits, légendes ou duels satiriques, transmis par la tradition orale; les règles complexes de la vie communautaire ou encore le rôle primordial des rites de chasse, des croyances religieuses et des pratiques chamaniques sont là pour attester que ces hommes étaient bien adaptés à leur univers et s’étaient élevés au-dessus des problèmes de lutte quotidienne pour la survie dans un milieu hostile.Les temps modernesAprès une longue période de contacts sporadiques avec les populations eskimo, les Occidentaux s’installèrent dans les régions arctiques, en nombre croissant, poursuivant des objectifs divers: évangélisation et alphabétisation, administration, commerce, prospection ou exploitation des ressources. L’existence des Eskimo en fut profondément transformée: abandonnant le nomadisme, ils devinrent sédentaires, regroupés dans des agglomérations où ils bénéficièrent de l’assistance médicale, de l’instruction publique, de possibilités d’emplois salariés et de certaines facilités de la vie moderne occidentale (logements avec eau courante et électricité, proximité de magasins, etc.). Mais ils firent aussi l’expérience de la contrepartie de l’urbanisation: chômage, prolétarisation et assistance sociale. L’histoire des Ammassalimiut, l’ethnie la plus orientale du territoire eskimo (Groenland de l’Est), découverte en 1884 par le Danois G. Holm, illustre de façon particulièrement frappante les étapes franchies par les Eskimo, passant de façon accélérée de la préhistoire à l’ère de l’aviation, de la radio, du téléphone et de la télévision.Pour tout l’Arctique, les années 1950-1960 constituèrent un grand tournant dans la vie des communautés autochtones. Succédant aux bases militaires américaines établies pendant la Seconde Guerre mondiale le long des côtes, de l’Alaska au Groenland, fut installée une chaîne de radars – système d’alerte pour les États-Unis –, la Dew Line, construite en 1955-1957. Le développement de l’aviation civile a, en outre, facilité les liaisons avec des régions autrefois presque inaccessibles. Enfin, les richesses économiques du Grand Nord – pétrole et gaz d’Alaska et du nord-ouest canadien, nombreux minerais (or, zinc, plomb, uranium, molybdène...), énergie hydro-électrique de la baie James de l’est canadien, sans compter les considérables ressources maritimes (poissons et crustacés) – n’ont cessé d’attirer vers ces contrées une importante population occidentale.Encore pratiquement seuls sur leurs territoires au début du XXe siècle, les Eskimo sont devenus minoritaires dans certaines régions; cependant, ils ont récemment pris conscience de leurs richesses et des menaces qui pèsent sur leur environnement comme sur eux-mêmes. Des mouvements politiques autochtones, mis en place dans les années 1970, se sont développés et, face aux gouvernements dont ils relèvent, ou aux projets de développement industriel touchant leurs régions, revendiquent la reconnaissance de leurs droits territoriaux et la participation à la gestion des affaires locales. Les Groenlandais, qui sont allés le plus loin dans cette direction, ont acquis leur autonomie interne (en 1979) et obtenu leur retrait de la C.E.E. (en 1984). Les Eskimo d’Alaska se sont organisés en corporations régionales et les Inuit du Canada, à travers le projet «Nunavut », s’acheminent vers une autonomie territoriale.À la fin des années 1980, les Eskimo étaient au nombre de 45 000 au Groenland (où ils sont largement majoritaires: 82 p. 100 de la population totale de l’île), de 25 000 au Canada, de 35 000 en Alaska et d’à peine 1 500 en Sibérie. Depuis 1977, une organisation non gouvernementale – I.C.C., ou Inuit Circumpolar Conference – reconnue par les Nations unies en 1983, relie entre eux les Eskimo d’Alaska, du Canada et du Groenland, qui s’efforcent d’abolir les frontières entre les États dont ils dépendent et commencent à développer des contacts avec les Eskimo sibériens depuis 1989. Cette organisation a affirmé, lors de réunions internationales tenues en 1980, 1983, 1986 et 1989, vouloir défendre sa culture (langue, moyens traditionnels de subsistance, valeurs ancestrales), son unité, ses droits et intérêts communs (notamment la protection de son environnement face à la militarisation, à la pollution industrielle ou à la surexploitation des ressources animales de l’Arctique).
Encyclopédie Universelle. 2012.